Marcher sur les eaux

Le pont Victoria vu du fleuve St-Laurent en novembre 2017. Photo: Kathleen Vaughan

Version anglaise

Marcher sur les eaux | Walk in the Water est un projet de recherche et de création (en cours de production depuis 2016) qui utilise les arts visuels et l’histoire orale pour explorer, depuis des perspectives environnementales et sociales, les rives du fleuve Saint-Laurent du quartier désindustrialisé de Pointe-Saint-Charles. Le projet est basé sur des écrits ainsi que des entrevues réalisées avec des résidents et des spécialistes issus de différentes disciplines telles que la planification urbaine, l’histoire, l’écologie politique, la botanique , la littérature, l’ingénierie sanitaire, les études environnementales et les écologies des eaux.

L’objectif de  Marcher sur les eaux | Walk in the Water est de sensibiliser aux spécificités et complexités de notre fleuve ainsi qu’aux très nombreuses façons de connecter avec ses eaux et avec ses créatures. Il est aussi question d’encourager l’identification et la mobilisation autour de ces remarquables caractéristiques environnementales et culturelles du Centre et de l’Est du Canada.

S’écoulant sur plus de 1200 kilomètres d’eau douce puis salée, depuis le lac Ontario jusqu’à son golfe (qui constitue le plus grand estuaire au monde), le fleuve Saint-Laurent est une ressource naturelle et culturelle essentielle. Les rives du fleuve et ses affluents abritent plus de 80% de la population québécoise et 50% de celle-ci s’y abreuve.

Cinq des six couches de la carte en textile qui représente la rive changeante du fleuve St-Laurent à Pointe-St-Charles. Achevée en broderie numérique par Gen Moisan, assistante au projet. Photo: Gen Moisan.

Marcher sur les eaux | Walk in the Water se décline en plusieurs formats, incluant notamment :

  • Une carte textile grandeur nature de la rive, présentant plusieurs couches de tissus rapiécés et brodés représentant le fleuve qui s’écoule et ses frontières mouvantes. La carte offre également des extraits audio d’histoires associées au Saint-Laurent, activés par le toucher.
  • Une promenade audio juxtaposant les caractéristiques de la rive d’origine (cartographiée en 1801) et du littoral actuel (prévu pour 2019).

D’autres projets d’art public (par exemple, une installation visuelle qui retrace le littoral d’origine) pourront également être créés, intégrant des données collectées à partir de sources multiples.

Marcher sur les eaux | Walk in the Water sera présenté à travers des expositions, des événements publics (par exemple, des promenades en groupe organisées) ainsi que des articles scientifiques et d’intérêt général, en plus des promenades audio qui seront téléchargeables à partir de ce site.

Marcher sur les eaux | Walk in the Water est basé sur le travail en cours de Kathleen Vaughan dans Pointe-St-Charles ainsi que different de ses projets dont Gardens of Water (2017) et le groupe de travail collaboratif Waters Lost, Waters Found à l’Université Concordia.

Marcher sur les eaux | Walk in the Water a été conçu par Kathleen Vaughan. Il a été développé grâce à la contribution de Jill Bennett, Joanna Donehower, Emma Hoch, Ryth Kesselring, Jacob Le Gallais, Philip Lichti, Nicole Macoretta, Gen Moisan, Kay Noele, Martin Peach et Eric Powell. Il a également reçu un financement spécial de l’Université Concordia.

Travail en cours : couche ‘eau’ sur la mur et couches ‘terre’ sur le plancher, dans l’atelier à Concordia, en août 2018. Photo: Kathleen Vaughan

Petite histoire du projet

On m’a raconté que le nom mohawk du fleuve Saint-Laurent est Kaniatarowanenneh, ce qui signifie « grande voie navigable ». Montréal et le fleuve Saint-Laurent sont situés sur le territoire traditionnel non cédé du peuple Kanien’keha: ka ou mohawk. Cet archipel a longtemps servi de site de rencontres et d’échanges entre les différentes nations autochtones (voir les écrits de Darren Bonaparte pour une brève histoire de l’habitation des Premières Nations du Saint-Laurent).

Le fleuve Saint-Laurent s’écoulait autrefois le long des basses terres tourbeuses de la région de Montréal -aujourd’hui connue sous le nom de Pointe-Saint-Charles- causant ainsi des inondations saisonnières. Lorsque les colons européens arrivèrent dans les années 1500, une véritable pointe rejoignait la rivière, créant une crique en amont protégée sur laquelle a ensuite été construite la Maison Saint-Gabriel. Cette maison en pierres de champ vieille de 300 ans fut jadis la pièce maîtresse de la ferme des sœurs de la congrégation de Notre-Dame. Elle constituait notamment une étape pour les jeunes femmes immigrantes françaises, connues sous le nom des « Filles du Roy », qui ont traversé l’océan dans les années 1660. Les religieuses et leurs pupilles utilisaient l’île voisine (île des Soeurs) comme site de plantation et appelaient leurs demandes de récolte à travers les . Bien que la maison existe toujours, le fleuve n’est aujourd’hui plus visible depuis celle-ci.

Au cours des deux siècles derniers, le littoral a été radicalement transformé par l’action du dumping (la zone servait autrefois de dépotoir municipal) et du remplissage (à la suite de la construction du canal Lachine dans les années 1820-1840, puis à nouveau dans les années 1960 pour la création du métro de Montréal). De nos jours, une grande partie du sol de Pointe-Saint-Charles est considérée comme contaminée et donc, impropre à l’habitation humaine. Ledit territoire est occupé par un bâtiment industriel de lignes de chemin de fer, l’autoroute 10 et le Technoparc. L’accès au fleuve est ainsi devenu difficile pour les résidents du quartier. S’il faut une bonne dose de détermination humaine pour accéder à cette partie de l’île, la vie animalière et végétale, elle, continue néanmoins de l’occuper.

Nous avons pu constater en novembre 2015 que les Montréalais éprouvent un attachement particulier pour le fleuve. Bon nombre de citoyens ont notamment fait entendre leur colère et leur consternation en réponse au projet de la Ville d’y déverser directement des eaux usées non traitées en aval de Pointe-Saint-Charles afin d’effectuer des travaux de maintenance des réservoirs de rétention. L’examen minutieux des organismes de surveillance environnementale des gouvernements fédéral et provincial a permis de retarder, mais non d’empêcher le déversement. Nombreux évoquent aujourd’hui cet incident avec grande honte.

Plusieurs résidents de Pointe-Saint-Charles rêvent au jour où leur rive redeviendra accessible. Ils espèrent également qu’on lui accordera un soin et un financement public à la hauteur de ceux octroyés au rivage situé à l’ouest de Pointe-Saint-Charles, dans l’arrondissement Verdun, qui présente des promenades et des plages ou alors de la Cité du Havre et de l’île Sainte-Hélène, un peu plus à l’est, lesquels bénéficient pour leur part de nombreux parcs et des espaces verts.

Qu’est devenu que le paysage fluvial de Pointe-St-Charles? Comment imaginons-nous ce rivage si peu connu? Qu’est-ce que cela pourrait signifier de marcher sur les eaux? Comment pourrions-nous mieux aimer et respecter notre fleuve et ses êtres?

Les changements de littoral de Pointe-St-Charles ont d’abord été portés à mon attention à l’occasion d’un article publié en 2010 dans Spacing Montreal, lequel évoquait les recherches de la Société d’histoire de Pointe-St-Charles et de l’architecte local Mark Poddubiuk.